Mon objectif déforme la réalité ?
Dernière mise à jour : 6 sept. 2022
"J'ai un gros nez sur cette photo", (tu es trop prêt de l'objectif) "Ma tête est étirée comme celle d'un Alien" (tu es au bord du cadre) ou encore "Je me trouve gros avec cet angle de vue" (normal tu fais 150kg), sont autant de réflexions qui nous pousse à croire que notre objectif déforme la réalité et qu'un objectif grand angle ne correspond pas à ce que nous voyons.
Avant d'aller plus loin, je vous prévient immédiatement :
la focale n'a aucune incidence avec la déformation de l'image.

Pour bien comprendre pourquoi l'objectif n'a aucune répercussion sur la déformation de l'image, et parce que la théorie est toujours très importante avant de se lancer dans la pratique, il faut d'abord comprendre ce qu'est une focale et comment elle réagit.
Pas de panique, je suis comme la plus part d'entre vous : je n'aime pas les maths et la physique pure et dure. C'est pourquoi je vais rester succinct et uniquement évoquer les bases et principes, pour que les notions exprimées soient accessibles à tout le monde (désolé de décevoir les puristes en recherche d'équations mathématiques).
Je vous conseille tout de même de vous servir un café (ou la boisson qui vous fera plaisir), de vous installer confortablement sur votre canapé (ou dans votre lit si vous résistez à l'envie de dormir) et de vous couper de toute distraction (sauf si "Retour vers le futur" passe à la télé - on le connait par cœur mais il reste toujours aussi génial).
Ce qui va suivre n'est pas vraiment complexe mais l'article détient un grand nombre d'informations, alors restez bien attentif.
Qu'est-ce qu'une focale ?
La focale, ou plus précisément la distance focale, désigne la distance entre le centre optique de l’objectif et le foyer de l'image, où convergent les rayons lumineux, et est exprimée en millimètres (24mm, 50mm, 200mm, ...).
La distance focale indique le niveau de "zoom" dans votre image depuis l'endroit où vous vous tenez (cette notion sera importante plus tard).

Schéma vulgarisé de la représentation de la distance focale.
On en déduit donc que plus la distance est courte plus la quantité d'éléments dans le cadre est importante et inversement. On peut donc dire qu'on "zoomera" beaucoup plus sur notre sujet, et que celui-ci prendra plus d'importance dans le cadre, en utilisant un 105mm plutôt qu'un 35mm.
Comme lorsqu'on utilise une loupe, plus on l'éloigne de notre oeil plus on agrandi le sujet visé. On augmente donc la distance entre l'oeil et la loupe pour faire grossir l'élément en question (une fois de plus, la comparaison est vulgarisée pour des besoins de compréhension).
Les focales sont classées en différentes catégories :
Les grands angles qui, comme leurs noms l'indiquent, permettent d'obtenir un champs de vision large, les objectifs standards qui correspondent plus ou moins à ce que l'on peut voir avec nos yeux et les téléobjectifs qui vont nous permettre de nous rapprocher du sujet sans bouger physiquement.
Il existe bien évidement d'autre catégorie comme les objectifs macro, fish-eye ou objectifs à décentrement par exemple mais ce n'est pas le sujet ici.

La focale est composée de lentilles. Il en existe deux sortes : les lentilles convexes et les lentilles concaves.
Dans un objectif, on trouvera un assemblage de ces deux types de lentilles afin de compenser les défauts de l'une en les couplant avec une autre.
Les fabricants utilisent des épaisseurs et des angles de lentilles différentes pour gérer et corriger les rayons convergents ou divergents de la lumière ainsi que créer la distance focale souhaitée en associant différents groupes de lentilles dans le tube cylindrique de l'objectif.
Pour en savoir plus sur la façon dont la lumière est réfractée, vous pouvez vous référer aux loi de Snell-Descarte, très utiles notamment pour la compréhension de la réflexion de la lumière sur les objets.
Angle de vue et perspective.
La perspective change en fonction du point de vue. Elle ne dépend que de la distance entre l'appareil photo et le sujet ainsi que de la hauteur par rapport à celui-ci.
Les lois de la perspective induisent un changement de taille et de distance en fonction du point de vue de l'observateur. Ce changement sera notamment lié au choix de l'optique et à l'angle de champ de celle-ci propose ainsi qu'à la hauteur de l'horizon souhaitée.

L'angle de champ est lié à la valeur de la distance focale et à la taille du capteur. Un grand angle donnera un angle de champ large, alors qu'un téléobjectif donnera au contraire un angle de champ faible. La taille du capteur changera la valeur de l'angle de champs de l'optique, un 50mm en plein format donnera une équivalence d'un 80mm sur un boitier APS-C. Pour faciliter la compréhension, je ne parlerai dans cet article que du plein format.
On remarquera donc que les objectifs offrants un angle de champs inférieur à 46° seront des grands angles quand ceux supérieurs à 46° seront des téléobjectifs. Vous l'aurez compris par vous même, 46° correspond au 50mm qui est donc un objectif standard. Pour info, la vision binoculaire de l'homme à un champ d'environ 124°.
- Oui, mais l'appareil photo ne possède qu'une seule optique...
Vous avez raison.
Dans ce cas, il faut diviser par deux pour une vision monoculaire. On obtient alors 62°.
- 62° ? On est loin des 46° du 50mm. Pourtant c'est lui qui correspondrait à la vision humaine.
Effectivement, l'angle de champ du 35mm se rapproche quand même plus de la vision humaine (pour ne pas dire qu'il est identique). Alors, qui a raison ? Va savoir...
En fonction de la distance focale, la perspective, la taille apparente et les proportions des objets seront modifiés en fonction de la distance qu'ils ont les uns par rapport aux autres. En photographie, on appelle ce phénomène : l'écrasement des plans.
Voici un exemple concret pour illustrer ces propos.

J'ai choisi trois focales différentes : un grand angle, un objectif standard et un téléobjectif. On notera que j'ai volontairement gardé l'appareil photo (plus ou moins) à la même place pour qu'il occupe la même taille apparente dans le cadre. L'objectif, au second plan, qui est positionné à 15cm derrière le boîtier, va être le point de repère pour observer les changement liés aux focales et à la distance entre celles-ci et le sujet.
Pour garder la même proportion de l'appareil photo, j'ai du m'éloigner à chaque changement de focale. Je suis environ à 30cm du sujet sur la première image, 50cm sur la seconde et à 2m sur la dernière.
Ce changement de distance influe sur l'arrière plan nous donnant l'impression que l'objectif grandi dans l'image et qu'il se rapproche du premier plan donnant une sensation d'image plate avec deux objets au même niveau. C'est l'écrasement des plans.
On peut également se rendre compte de cette utilisation de perspective et d'écrasement des plans dans le cinéma. Cette perspective forcée, c'est son nom, permet d'influer sur les changements d'échelle entre les personnages comme le montre cette image tirée du film de Peter Jackson.

Le Seigneur des anneaux : La Communauté de l'anneau sorti en 2001.
Comment la focale déforme t-elle mon image ?
La fabrication d'un objectif est très complexe. Elle implique de positionner de nombreuses lentilles rassemblées en différents groupes et au milieu desquels le diaphragme doit être installé.

Construction schématisée d'une optique.

Pour qu'un objectif ne subisse aucune déformation, il faut que le diaphragme soit placé précisément au niveau du centre optique.
Si celui-ci est placé en avant de l'objectif, éloigné du foyer de l'image, on remarquera une aberration appelé déformation en barillet, s'il est placé sur l'arrière de l'optique, et donc plus proche du foyer de l'image, on l'appellera déformation en coussinet. Vous pouvez observer que le centre le l'image n'est pas contrainte à cette aberration et que seuls les bords du cadre le sont.
Je ne vais pas rentrer dans les détails ici mais sachez qu'une focale fixe est plus simple à fabriquer qu'un zoom et de ce fait moins chère. Les optiques sans déformations existent, même avec un zoom, elles sont plus complexe à construire et de ce fait plus chère.
Continuons.
Vous avez sans doutes déjà vu circuler, partout sur le net et les réseaux sociaux, ce genre de test (comme le gif ci-dessous) qui démontrerait que les focales déforment la réalité et que le visage du modèle subit des changements de proportions importants.
Rappelez-vous du client mécontent qui trouve sa mâchoire trop carrée ou ses yeux trop rapprochés...
Selon vous, c'est plutôt votre focale qui le déforme ou lui qui ressemble un peu trop à Jabba le Hutt (peut-être un peu des deux - qui sait) ?

Vu que vous avez compris tout ce qui précédait, j'imagine que vous voyez déjà ou je veux en venir. Je te félicite jeune Padawan, mais range ton sabre laser et ne brulons pas les étapes.
Nous savons que la focale va nous permettre de réduire ou d'augmenter l'angle de notre cadrage - notre champs de vision - et de ce fait d'agrandir ou de réduire l'importance du sujet dans notre image.
Ce changement de focale n'influe pas sur la perspective, pour cela, il faut se déplacer. Quand on élargit le cadre, on donne une impression de changement de perspective car l'on fait entrer plus d'éléments dans l'image (c'est logique, mais pas pour tout le monde).
L'erreur du débutant (et même de l'expert - parfois) est de penser que la focale déforme et notamment parce qu'on compare différentes focales en essayant de maintenir le cadrage, comme dans le gif ci-dessus. Cela créé une confusion et une mauvaise compréhension.
La conclusion (hâtive) de ce test est biaisée car deux paramètres ont étés changés : l'objectif utilisé et la distance de prise de vue. On admet donc, en se fiant à ce test, que la focale a un impact sur les perspectives et sur la déformation de la photo, mais en réalité ce n'est pas du tout le cas.
Pour obtenir un test réaliste et vérifier la véracité de notre point de départ, à savoir que "l'objectif déforme notre image", il faut effectuer ce test en ne changeant qu'un seul paramètre : la distance.

La perspective d'un visage varie avec la distance, comme on le voit sur ces clichés recadrés, pas la longueur focale. La visière de la casquette nous aide à comprendre comment cette perspective est modifiée et jusqu'à quel point.
Notez que seule la distance entre le boîtier et le sujet est modifiée, la hauteur reste inchangée.
Maintenant effectuons un nouveau test. Gardons la même distance du sujet et changeons seulement la focale.
Ici, la distance est identique pour chaque cliché : 2m du sujet.

Vous le remarquerez par vous même, sur ces photos recadrées : ce n'est pas la focale qui déforme mais bel et bien la distance par rapport au sujet qui change la perspective. Il n'y a aucune déformation apparente avec un changement de focale tout en gardant la même distance.
L’orientation de la lumière et les ombres que celle-ci créée peuvent également donner un sentiment de déformation du visage mais ce n’est pas le sujet du jour.
Comment être sûr de bien respecter la distance entre le boîtier et le sujet en fonction de la focale utiliser ?
Reprenons depuis le début (ou presque). Il est admis que le 50mm (voire même le 35mm), un objectif standard, correspond à la vision de l'homme.
Mais comment a t-on fait pour définir ça ?
Un capteur plein format, ou full frame, a une taille de 24x36mm (format 35mm en argentique), pour un ratio de 2/3 (format analogique de la photo, conservé pour le numérique).
Référez-vous à vos cours de 4ème (on ira pas au delà) et reprenons le théorème de Pythagore pour calculer l'hypoténuse (la diagonale) de notre format :
a² + b² = c²
36² + 24² = c²
1296 + 576 = 1872
√1872 = 43,27
Il est donc avéré que le 43mm est la valeur exacte pour un plein format. Les objectifs 50mm et 35mm étant plus simples et moins chers à fabriquer (et donc plus proche du 43mm), il est donc d'usage de dire que le 50mm, ou le 35mm pour d'autre, est un objectif proche de la vision de l'homme. L'un est pourtant une optique standard alors que le second est classé dans les grands angles (on ne va jamais s'en sortir).
- Mais du coup, si on retourne à notre angle de champs, le 43mm ne correspond plus avec celui de la vision monoculaire de l'homme...
Ok, on va arrêter avec ce comparatif. Selon moi (et ce n'est que mon avis), il n'y a rien de commun entre une optique et une vision humaine.
Notre oeil est sans doute capable de faire la mise au point mais il est incapable de changer la profondeur de champs ou même de faire entrer plus ou moins de lumière (dans le même contexte lumineux).
- Maintenant que l'on sait ça, comment savoir à quelle distance du sujet doit-on se tenir pour ne pas qu'il soit déformé ?
On peut déjà se fier à ce tableau qui nous indique quelle est la distance recommandée et fonction de l'optique choisie, et donc du cadrage qui en découle.
Les distances exprimées ci)dessous sont calculées sur la base d'un plein format.
(Si une compréhension des différents types de cadrage et de leurs intentions vous intéresse, je rédigerai un article pour cela).
Cadrage | Focale recommandée | Distance recommandée |
Gros plan | 135mm | 1,50m |
Plan épaules | 100mm | 2m |
Plan poitrine | 90mm | 2,30m |
Plan américain | 85mm | 2,80m |
Plan italien | 75mm | 3,4m |
Plan large | 50mm | 3m |
Mais dans un second temps, c'est votre œil et votre expérience qui le déterminera.
C'est le rapport entre la distance du sujet et l'optique choisi qui définira la taille idéale du sujet au cœur de l'image.
Pour garder l'harmonie naturelle d'un corps humain et ne pas jouer sur sa déformation, il est également préférable de changer, en plus de la distance, la hauteur du point de vue comme l'indique le schéma ci-dessous.

De plus, c'est la logique liée au choix de l'outil qui interviendra.
Par exemple. Un peintre utilisera un rouleau plutôt qu'un pinceau pour peindre une pièce de 20m², tout comme le cuisinier ne se servira pas d'une poêle de 30cm pour un repas de 50 personnes.
Chaque optique à ses spécificités et une utilisation qui lui propre.
Prenons le cas d'un grand angle, par exemple, comme son nom l'indique il permet d'avoir un champs large dans l'image, alors pour vouloir faire un gros plan avec ?
Bien entendu, on peut détourner son utilisation une fois que l'on a compris les bases, comme le fait le photographe Antoniou Platon en faisant du portrait au grand angle. Parce que c'est l'intention du photographe qui prime. Je veux bien qu'on évoque ici la vision de l'artiste mais on arrête définitivement avec la vision humaine.
Briser les règles pour mettre en œuvre ce que l'on imagine est le propre l'artiste. Se cantonner à suivre la théorie à la lettre peut s'avérer n'avoir aucun sens en fonction de ce que l'on veut raconter.
C'est l'émotion et le sentiment qui vont être prépondérants dans la lisibilité de l'image mais pour cela il faut faire un choix qui va accentuer la géométrie pour créer un ressenti particulier.
La plongée (pour donner un sentiment de domination par rapport au sujet) ou la contre-plongée (pour exprimer un état de supériorité du sujet) sont des axes de points de vues très connus qui permettent d'intensifier la narration et créer quelque chose qui n'existe pas dans la réalité, parce que l'appareil photo et ses optiques ne sont que des outils de retranscription d'une "réalité" choisie et racontée par celui qui fait la photo.
Alors est-il bon ou mauvais de se déplacer ? Est-il judicieux de faire un gros plan avec un grand angle ? Accentuer une perspective a t-elle un sens ?
Tout dépend de notre intention et de ce que l'on veut voir ou non dans la scène.
La seule vision juste est celle choisie par son créateur, mais n'oubliez pas que c'est la distance qui change la perspective, la focale n'y est pour rien.
Petit bonus.
Je vous laisse avec ce plan, des plus culte, tiré du film "Les dents de la mer" réalisé par Steven Spielberg en 1975. Ce travelling compensé - ou Dolly Zoom en anglais - est l'addition de tout ce que nous avons vu jusqu'à présent : un changement de distance mis en œuvre grâce au travelling et un zoom progressif issu du changement de focale.
